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Un moment de fierté – et après ?

L’enthousiasme, le savoir-faire et l’esprit d’innovation caractérisent l’industrie spatiale suisse. Mais cela ne suffira pas. Pour ne pas perdre pied dans l’univers impitoyable du New Space, mieux vaut investir. Mais il ne sert à rien de s'en vanter si on n’a pas les moyens.

Old Space: Die neue europäische Trägerrakete Ariane 6 kurz vor ihrem Start am 6. März. Die weltweite Nachfrage nach Raketenstarts ist hoch, trotz hoher Preise ist die Ariane auf Jahre hinaus ausgebucht. | © ESA
Old Space – La fusée Ariane 6 peu avant son lancement à Kourou (Guyane française) le 6 mars dernier. Lors de ce premier vol commercial, mais le deuxième décollage depuis le tir inaugural du 9 juillet 2024, le nouveau fleuron européen a expédié un satellite de reconnaissance français dans l’espace. La demande mondiale de lancements de fusées est élevée, et, malgré ces prix onéreux, Ariane affiche complet pour les années à venir.

« L’euphorie règne ! » Il y a près de 33 ans, l'ancien conseiller fédéral Adolf Ogi saluait Claude Nicollier, premier Suisse à aller dans l'espace, par ces mots légendaires lors d'une liaison en direct avec la navette spatiale Atlantis. Il était désormais clair que la Suisse était une nation spatiale.

 

En tant que membre fondateur de l'Agence spatiale européenne (ESA), la Suisse a contribué dès le début à l'histoire de l'espace européen. Les modalités de cette participation étaient clairement définies : les États membres financent les activités de l'ESA. L'attribution des contrats est soumise au principe du « retour géographique » : ce que l'ESA n'utilise pas elle-même revient aux États membres sous forme de contrats industriels. C'est ainsi qu'une industrie spatiale suisse, petite, mais performante dans son créneau s'est développée. Des entreprises comme Contraves Space (devenue plus tard Oerlikon, puis Ruag) ou Apco se sont positionnées comme fournisseurs des grands groupes spatiaux en Europe et parfois au-delà.

Musk chamboule tout

Peu après l’an 2000, un certain Elon Musk s'est mis en tête de bouleverser l'industrie spatiale avec son entreprise SpaceX. Il visait principalement les bénéfices excessifs des constructeurs de fusées Boeing et Lockheed Martin, largement financés par la NASA et l'armée de l'air. Avec ses fusées Falcon, il a démontré de manière éclatante que l’argument du « l’espace, c’est forcément cher » ne tenait plus. Ainsi est née l’idée du New Space : réduire drastiquement les coûts des technologies spatiales, les produire en série et les envoyer en masse en orbite pour des applications commerciales de tous types.

 

Dans les années 2010, ce nouvel âge spatial a également déteint sur la Suisse. De nombreuses start-up spécialisées dans le spatial ont vu le jour dans l'environnement des écoles polytechniques fédérales de Zurich et de Lausanne. Par exemple, Astrocast, une spin-off de l’établissement vaudois qui s'engage à construire une constellation de satellites pour l'Internet des objets. Ou encore Swissto12, qui fabrique des systèmes de communication à haute fréquence pour les satellites. Autre exemple, Clearspace travaille sur un satellite destiné à éliminer les débris spatiaux. Les acteurs établis se réorganisent également pour s'assurer une part du gâteau du New Space. L'ancienne firme Ruag Space s'appelle aujourd'hui Beyond Gravity et est notamment fournisseuse des constellations de satellites Oneweb et Kuiper.

Le spatial, pari des hautes écoles

Les start-up cultivent des liens étroits avec les hautes écoles. L’EPFL propose depuis longtemps une spécialisation en technologies spatiales, tandis que l’EPFZ a lancé un Master en systèmes spatiaux l’an dernier. Cette initiative est portée par Thomas Zurbuchen, ancien directeur des programmes scientifiques de la NASA, qui enseigne depuis 2023 en tant que professeur de sciences et technologies spatiales de l’EPFZ. « Au cours des cinq prochaines années, nous voulons faire de ce nouveau master l'un des meilleurs au monde », a-t-il récemment déclaré dans une interview publiée dans le magazine Globe de l’EPFZ. L’ancien haut responsable scientifique envisage aussi de grands projets suisses : « Par exemple, un satellite d'observation de la Terre construit au moins en partie à notre haute école, ou peut-être un robot qui atterrirait sur la Lune. » En outre, Thomas Zurbuchen souhaite « créer en Suisse un pôle d'innovation dans le domaine spatial en réunissant des entreprises établies et en trouvant des fonds pour permettre aux start-up de se développer ».

 

Zurbuchen aborde ainsi, du moins implicitement, un sujet sensible. De l'entreprise leader Beyond Gravity à la plus petite start-up, toutes les entreprises qui veulent prendre pied dans le New Space ont un point commun : elles ont besoin d'argent.

« Un joyau déficitaire »

Les besoins d'investissement de Beyond Gravity sont estimés entre 500 et 600 millions de francs. Le PDG Andre Wall a donc insisté pour que l'entreprise publique soit rapidement privatisée, mais il s'est heurté à un mur politique : après le Conseil national, le Conseil des États a également décidé le 10 mars dernier que Beyond Gravity devait rester la propriété de l'État. L'entreprise est un « joyau », a-t-on entendu à plusieurs reprises au cours du débat. La question de savoir d'où viendrait l'argent pour rendre ce joyau, qui est désormais déficitaire, apte à affronter le marché du New Space, est restée sans réponse.

Grands défis financiers

Les start-up spatiales font face à de grands défis financiers. En Europe, lever des capitaux à risque est bien plus difficile qu’aux États-Unis. Une étude du CFAC (Université de Saint-Gall) montre que les jeunes pousses suisses en souffrent aussi, freinées par de longs cycles de développement et des options limitées pour les investisseurs.

 

Aux États-Unis, la NASA soutient massivement les jeunes entreprises, en leur offrant savoir-faire, infrastructures et contrats. Elle agit parfois en premier client, finançant à l’avance des projets comme Dragon ou Artemis. SpaceX en a bénéficié avec un contrat de 1,6 milliard de dollars pour ravitailler l’ISS avant même le succès de Falcon 1.

Une goutte d'eau dans l'océan

L’ESA suit une approche similaire, mais à une échelle bien plus modeste, avec ses 54 centres d’incubation d’entreprises. L'un d'entre eux est justement situé à l’EPFZ. Cet incubateur offre un soutien technique, commercial et financier, ainsi qu’un réseau de contacts, aux start-up.

 

Celles-ci, intégrées au programme reçoivent jusqu'à 200’000 euros (« non-dilutive funding » ou financement sans prise de participation) ainsi que jusqu'à 80 heures de soutien technique et commercial de la part d’entreprises du réseau de partenaires et d’organismes de recherche, en plus d’un accès au réseau de l’ESA. Cela semble attractif, mais pour la création d’une entreprise spatiale, ce n’est rien de plus qu’une goutte d’eau sur une pierre brûlante, face à l’ampleur des défis spatiaux.

Zurich 02.04.2025
Contribution de: Hendrik Thielemann
Source d'image: ESA

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